En Chine, le renseignement sort de l’ombre

LETTRE DE PÉKIN
Liu est un étudiant en deuxième année de faculté dans une ville côtière du sud de la Chine. Sur une application de rencontre, il fait la connaissance de Xiao Min, avec laquelle une relation s’installe. La jeune femme l’introduit auprès d’un magazine qui lui propose des petites missions sur son temps libre : prendre des photos de touristes et de bateaux de plaisance sur le port. Liu est content de gagner un peu d’argent, il pense que cet emploi de photographe va aussi l’aider à gagner définitivement le cœur de Xiao Min, « qu’il fait d’une pierre deux coups ».
Après des premières commandes de photos réussies, elle lui propose de faire des clichés des navires de la marine qui entrent et sortent du port. La charmante Xiao Min lui paye même un loyer pour un appartement proche de ces installations militaires. Elle lui demande par prudence de basculer sur une application de messagerie étrangère. Dès lors, Liu commence à se douter qu’elle est une espionne, mais il persiste… Jusqu’à ce que les organes de la sûreté de l’Etat interviennent.
Un autre jeune homme, Wang, bientôt diplômé, a déjà entré ses informations personnelles et son CV sur un site de recherche d’emploi. Le retour est positif : une entreprise lui propose de prospecter dans le secteur environnemental. Il doit prendre des photos du domaine marin, de bateaux aussi, civils d’abord, mais très vite, on lui parle de zones militaires qui lui semblent sensibles, de navires de guerre. Lui a immédiatement été suspicieux et a bien réagi : se faisant accompagner d’un de ses professeurs, il a contacté la hotline de dénonciation des menaces à la sécurité de l’Etat chinois, le 12339.
Ce post du 13 mars 2024, inspiré de faits réels selon ses auteurs, est l’un des 170 apparus sur le compte du ministère de la sécurité d’Etat sur WeChat, le grand réseau social chinois, depuis qu’il a ouvert, le 1er août 2023. La première publication rappelait déjà que « le contre-espionnage requiert la mobilisation de toute la société ». Depuis, de récits détaillés en planches de bande dessinée très réussies, les Chinois qui s’intéressent à ce compte se voient rappeler que la menace est omniprésente.
La sécurité alimentaire ? Des entreprises étrangères ciblent le marché céréalier chinois et feront tout pour voler les données de la production du pays – « les Etats-Unis ont toujours utilisé l’alimentation comme arme de leur politique étrangère », lisait-on le 22 septembre 2023. Il y a les posts classiques dénonçant l’impérialisme américain, d’autres rappelant la jeunesse à son patriotisme, « nous avons les gènes rouges ». Un autre qui détaille dix motifs qui peuvent valoir une invitation à « boire le thé », c’est-à-dire une convocation de la sécurité. Certains apportent des instructions utiles pour ne pas voir son matériel informatique hacké.
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